Or, aujourd'hui, 96 % des affaires lui échappent. Est-ce à dire que les affaires pénales, devenues plus simples, seraient d'emblée en état d'être jugées sans investigations préalables ? A l'heure de la mondialisation, de la délinquance financière et des grands trafics internationaux, cela semble peu vraisemblable.
Alors, comment a-t-on pu en arriver là ? C'est une longue histoire, qui remonte à l'entrée de l'avocat dans le cabinet du juge d'instruction (1897) : à mesure que l'instruction devient de plus en plus "contradictoire", l'enquête menée par la police sous la direction du parquet, et sans participation de l'avocat, prend une importance croissante. D'abord officieuse, puis légalisée par le code de procédure pénale en 1958 sous le nom d'"enquête préliminaire", la formule permet au parquet (qui perd à la même date le pouvoir de choisir le juge) de renvoyer directement une affaire en jugement sans instruction par un juge.
On découvrira ainsi peu à peu que plus l'instruction se judiciarise, conformément aux principes constitutionnels et européens, plus les voies parallèles se développent, au détriment de l'instruction qui passe en 1960 à 20 % des affaires pénales, puis à 8 % en 1989, et à 4 % en 2009. Dans le cadre de la Commission justice pénale et droits de l'homme, nous avions noté dès 1990 ce paradoxe, soulignant qu'une réforme d'ensemble était devenue nécessaire.
Nous indiquions plus précisément deux raisons. D'une part, l'incompatibilité des fonctions de ce juge à deux visages, qui doit, comme enquêteur, faire des hypothèses sur la culpabilité et l'innocence, mais qui est supposé redevenir impartial pour prendre des décisions juridictionnelles (à commencer par la détention provisoire) et décider le renvoi en jugement. D'autre part, la confusion des pouvoirs entre le parquet et le juge. Nous mettions alors en garde le législateur contre les effets pervers de l'accumulation de réformes partielles, ajoutant de nouvelles règles qui ne s'accompagnent ni des moyens adéquats ni d'une réflexion d'ensemble sur la cohérence du système pénal : "Ce rapiéçage, parfois même ce bégaiement législatif, paraît irréaliste et néfaste."
Vaine mise en garde, car l'accumulation continua, à raison de deux lois en 1993, puis de nouveaux textes presque chaque année. La seule réforme d'ensemble (loi du 15 juin 2000) aura été aussitôt affaiblie par la même majorité (lois du 15 novembre 2001 et 4 mars 2002), puis par la nouvelle majorité élue en 2002 (lois 2004, 2006, 2007...).
En elle-même, l'annonce d'une réforme d'ensemble par le président de la République, puis par le rapport d'étape du comité Léger, est donc une bonne nouvelle. A condition de ne se tromper ni sur le diagnostic ni sur le traitement.
Pourquoi réformer ? Les raisons d'une réforme d'ensemble sont plus actuelles que jamais, mais il faut tenir compte de ce qui a changé, dans les textes et les pratiques, depuis vingt ans. Un effort de clarification est venu de l'inscription, en tête du code de procédure pénale, d'un article préliminaire qui énonce les principes directeurs du procès pénal (loi 2000) en commençant par la procédure équitable et "contradictoire", confirmant ainsi le dépassement du vieux clivage qui opposait la procédure inquisitoire, menée par un enquêteur public, à la forme accusatoire, menée par les parties, au profit d'une conception mixte. En revanche, les principaux problèmes repérés en 1990 sont inégalement résolus. Pour trois raisons.
Premier constat : l'incompatibilité des fonctions du juge d'instruction est en partie corrigée par la création du juge des libertés et de la détention et le renforcement des droits de la défense. En partie seulement, car l'affaire d'Outreau a montré que le juge des libertés avait des difficultés à exercer un véritable contrôle, alors que la durée moyenne de l'instruction avait doublé entre 1990 et 2008. Une loi de 2007 tente de résoudre le problème en créant une collégialité mais, pour des raisons budgétaires, elle a été reportée à une échéance plus lointaine (2010, puis 2011). En attendant, un décret permet la mise en place de pôles de l'instruction et l'élargissement de la cosaisine (conduite des dossiers difficiles par deux juges), mais la marginalisation du juge d'instruction se poursuit.
Pendant la même période, les pouvoirs du parquet se sont considérablement développés, aggravant - c'est le deuxième constat - la confusion des pouvoirs, car le parquet joue tantôt le rôle d'un juge d'instruction, tantôt, par le jeu des "alternatives aux poursuites" et des procédures simplifiées, celui d'une quasi-juridiction de jugement. Ses pouvoirs d'enquête sont facilités par la possibilité, sans passer par le juge d'instruction, de demander directement au juge des libertés d'autoriser des mesures coercitives (perquisitions, accès aux systèmes informatiques, interceptions de sécurité, etc.). Et la création de bureaux des enquêtes dans les différents parquets, sur le modèle mis en place auprès du tribunal de Paris, favorise la prise en main de l'instruction par le parquet, mais une instruction sans avocat, nous ramenant ainsi à la situation antérieure à la loi de 1897.
En même temps, le parquet reste l'organe qui décide des poursuites et peut classer une affaire sans suite, non seulement parce que l'infraction n'est pas constituée, mais encore pour raisons d'opportunité. La contrepartie traditionnelle du classement en opportunité était la constitution de partie civile de la victime auprès du juge d'instruction, mais la victime, depuis 2007, doit s'adresser d'abord au parquet. D'ailleurs, en matière de crimes internationaux, le projet de loi adaptant le droit français au statut de la Cour pénale internationale (CPI), dans la version votée en 2008 par le Sénat, réserve le monopole des poursuites au parquet.
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